UN FRANCAIS EN HAUT DE L'AFFICHE
 

 

Jérôme Pradon, un chanteur français qui a récemment interprété le rôle titre de la comédie musicale d'Andrew Lloyd Webber, Whistle Down the Wind, ne s'est pas étonné de la réaction de la presse britannique. "En fait, dans les comédies musicales anglo-saxonnes, on est accompagné par un véritable orchestre, alors que la troupe de Notre-Dame de Paris chante sur une bande déjà enregistrée" a expliqué Pradon, ajoutant : "Le public anglais s'est peut-être senti un peu trahi."

L'un des rares interprètes français à avoir réussi sur les scènes du West End, Pradon a étudié l'art dramatique à Paris, au prestigieux Cours Florent. Tout en se maquillant dans sa loge de l'Aldwych Theatre, avant la représentation de mercredi dernier, l'artiste m'a entretenu dans un anglais admirable et sans accent, confessant qu'au début de sa carrière, il trouvait les comédies musicales "plutôt ringardes."

Un débutant pour les Misérables "Mais un jour, un de mes amis m'a dit qu'on auditionnait, à Paris, pour Les Misérables," a-t-il continué, "et j'ai immédiatement envoyé mon CV. Je n'avais pas suivi de formation musicale à proprement parler - seulement deux leçons de chant et je n'avais même jamais entendu parler des Misérables. Je peux vous affirmer que ça a choqué les gens pour lesquels j'auditionnais! Malgré tout, ils m'ont donné une cassette du spectacle et m'ont demandé d'apprendre le rôle d'Enjolras. Quand j'ai écouté la cassette, je n'arrivais pas à en croire mes oreilles tellement j'étais emballé par les chansons."

Pradon a fini par tellement travailler pour le spectacle qu'il a récolté le rôle de Marius, l'un des personnages principaux dans la production des Misérables de Cameron Mackintosh qui débuta au Théâtre Mogador à Paris en 1991. Mais les Français ne semblèrent pas apprécier qu'un Anglais retouche un des fleurons de leur patrimoine culturel, et le spectacle disparut de l'affiche avant la fin de la saison. A partir de là, Pradon avait attrapé la bosse de la comédie musicale et auditionna pour la version anglaise à Londres. A sa grande surprise, les producteurs lui offrirent, à la place, le rôle de Chris le GI, la vedette masculine d'une autre comédie musicale de Boublil et Schönberg, Miss Saigon.

"Au départ, chanter en anglais était vraiment stressant et épuisant" reconnaît Pradon, "il n'y avait pas seulement le problème de la langue, mais aussi, celui de l'accent. J'ai suivi un entraînement intensif avec un professeur de diction pour m'assurer que j'allais être capable de jouer avec un accent parfaitement américain. Je me souviens que j'étais le seul Français en lice pour le rôle et que je ne parlais même pas l'anglais à l'époque. Les autres acteurs qui auditionnaient en même temps que moi, me regardaient comme un chien dans un jeu de quilles-et je les comprends!".

Après un an dans Miss Saigon, Pradon a enchaîné avec le rôle de Napoléon dans une comédie musicale qui n'a fait qu'une courte carrière à Toronto, puis il est retourné à Londres pour le rôle vedette dans un autre spectacle de Boublil et Schönberg, Martin Guerre. Peu après, il se retrouvait à passer une nouvelle audition devant Andrew Lloyd Webber pour le rôle de Judas dans la nouvelle version vidéo de Jésus Christ Superstar. Ironiquement, malgré son statut de star en Grande-Bretagne où il a dû faire face au choc culturel, et s'habituer à conduire à gauche et à penser à l'envers- Pradon demeure parfaitement inconnu en France.

Impatient de revenir à Paris pour y poursuivre sa carrière, Pradon est cependant conscient de l'attitude des Français face aux comédies musicales. "Le public français ne trouve pas que les comédies musicales soient une forme d'art dramatique" dit-il, "Les spectateurs de l'Hexagone n'arrivent pas à se faire à l'idée qu'un acteur sache chanter ou qu'un chanteur sache jouer la comédie! En France, il y a soit des opérettes qui sont vraiment considérées comme ennuyeuses et vieux jeu, soit des comédies musicales comme Starmania qui sont plus proches de l'opéra-rock. En Angleterre, l'opérette a évolué de pair avec le théâtre et a produit un véritable théâtre musical."

En d'autres termes, ne vous attendez pas à voir Jérome Pradon dans une prochaine production des Dix Commandements ou de Roméo et Juliette!

  -Julie Street
Trad: Elisabeth Dodard
RFI Musique
27/12/00