PORTRAIT: STEPHANE LY-CUONG
 

 

A 27 ans à peine, Stéphane Ly-Cuong réalise avec La Jeune Fille et la Tortue, son premier court-métrage, un film attachant et original. A l'occasion de la première projection du film qui s'est déroulée le 9 octobre dernier au cinéma le Max Linder, il nous parle de son travail d'auteur et de réalisateur.

Biographie rapide ?

J'ai étudié le cinéma à Paris VIII puis à Brooklyn College, à New York. Après mes études, j'ai fait des petits films en vidéo, tout en travaillant parallèlement dans le journalisme et en m'occupant occasionnellement de casting figuration sur des films.

Quand vous est venue l'envie de faire du cinéma ? Quels sont vos goûts en matière de cinéma ?

Je crois que j'ai toujours voulu faire un métier artistique, et plutôt créatif. C'est à 15 ans que je me suis dit que je serai réalisateur. J'avais fait une figuration dans un film et l'ambiance du travail d'équipe m'avait séduit. C'est là que j'ai commencé à me fixer cet objectif.

Mes goûts en matière de cinéma sont plutôt éclectiques. Dans les grands classiques, j'adore François Truffaut et Jacques Demy, Billy Wilder, George Cukor ou Stanley Donen par exemple. Dans les réalisateurs plus récents, j'aime beaucoup Hal Hartley, James Ivory, Pedro Almodóvar. J'aime beaucoup le nouveau cinéma asiatique (Wong Kar Wai, Tsai Ming Liang). Bien entendu, cette liste n'est pas exhaustive...

Auriez-vous aimé jouer, être comédien ?

En fait, je ne crois pas. Je n'aurais jamais eu assez confiance en moi pour me produire devant une caméra ou un public! Je n'ai pas le tempérament de comédien et je n'en ai pas le talent.

Quel cinéma représente pour vous une source d'inspiration ? D'où puisez-vous votre inspiration ?

Au niveau cinéma, je dirais que c'est plutôt le cinéma français ou le cinéma indépendant américain qui pourraient éventuellement être des sources d'inspiration. On y trouve évidemment plus d'audace et de sensibilité que dans les films des grands studios (même si j'apprécie d'en voir régulièrement).

Evidemment, le théâtre musical est une autre source d'inspiration. Je suis un grand fan de Stephen Sondheim mais j'aime aussi les spectacles d'Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg. A 18 ans, lors d'un voyage à Londres, j'ai vu "Miss Saigon" et "Les Misérables" et ça a été un grand choc. Je crois que c'est là que j'ai redécouvert la comédie musicale et cette émotion de la musique intégrée à l'action. Bien plus que les films musicaux, ce sont ces spectacles qui ont été un véritable déclic et ont fait naître ma passion.

L'inspiration, j'essaie surtout de la trouver autour de moi. J'essaye d'être aux aguets et d'écouter, d'observer mon entourage. Les gens qui nous entourent sont une source inépuisable. Il suffit parfois d'ouvrir l'oeil et de tendre l'oreille.

Le genre de la comédie musicale vous tenait-il particulièrement à coeur ?

La comédie musicale est ma passion! Dans ce cas précis, je trouvais que ce genre se mariait parfaitement avec l'univers du conte de fées. J'espère en faire beaucoup d'autres!

Je trouve que la comédie musicale permet des procédés scénaristiques que j'aime beaucoup. Exprimer les sentiments d'un personnage dans une chanson permet d'exposer une situation plus rapidement que si on choisit un système de narration classique. C'est un raccourci scénaristique... mais c'est un joli raccourci !

S'agit-il de votre premier film ?

Il s'agit de mon premier "vrai" film. J'ai déjà réalisé quelques courts métrages sur différents supports (super 8, 16 mm et vidéo) mais la plupart étaient des films d'études. Je considère celui-ci comme étant le vrai premier...

Racontez-nous la genèse de "la Jeune Fille et la Tortue"... Notamment, d'où vous vient l'idée du scénario ?

Tout d'abord, "La Jeune Fille et la Tortue" a été réalisé dans le cadre d'un concours de scénarios lancé par la Mission 2000 en France, sur le thème "Vivre ensemble, demain". Les candidats devaient écrire un scénario sur ce thème en utilisant, si possible, la technique du conte. Malgré les différentes règles imposées, j'ai été séduit par l'intitulé et j'ai commencé à réfléchir à un scénario. Un jour, différentes idées que je traînais depuis longtemps se sont fondues en une seule, l'envie de faire un film sur une jeune femme célibataire, l'envie de parler des traditions asiatiques, l'envie de moderniser un conte de fées, l'envie de parler des défunts et l'envie de faire une comédie musicale. Je trouvais que tous ces thèmes pouvaient s'unir en un seul et j'ai commencé à écrire.

Quel aspect du film a été le plus difficile ? Avez-vous eu des doutes sur le projet ?

Tout ce qui s'est passée en amont du tournage a été assez difficile. Tout d'abord, au niveau artistique... Mes lyrics ont été beaucoup critiqués et je les ai retravaillés un certain nombre de fois. Comme c'était la première fois que j'écrivais des lyrics, je n'avais pas les notions de base que peut avoir un auteur chevronné. En même temps, je voulais vraiment garder un style personnel et je ne voulais pas qu'il y ait une rupture de style entre les dialogues et les chansons, d'où un style assez "quotidien" dans mes lyrics, mais complètement assumé. Mais j'ai assez mal vécu cette période. L'autre moment difficile fut la préparation du tournage. Jusqu'au premier jour de tournage, on essaye d'obtenir le meilleur pour son film et petit à petit, on fait des concessions pour des problèmes de budget, d'autorisation, de planning, etc. On est souvent dans l'incertitude, la moindre nouvelle peut être incroyablement déprimante, on a l'impression que tous les malheurs du monde vous tombent dessus et que tout va contre vous, la Préfecture de Police, l'EDF, les syndicats d'immeubles, les loueurs de caméra... C'est une période où chaque fois qu'on décroche le téléphone, on a peur d'entendre une mauvaise nouvelle ! J'étais pressé d'arriver au tournage. Lorsqu'un problème arrive durant le tournage, on est forcé de le résoudre dans la minude et de prendre une décision, alors qu'en préparation, on essaye de trouver une solution jusqu'au dernier moment, et c'est beaucoup d'énergie !

Mon problème est que je doute très (trop) souvent de moi. Les doutes ont été perpétuels et le premier est que je ne pensais vraiment pas gagner ce concours de scénarios. Je n'ai demandé à Patrick Laviosa, le compositeur, de travailler sur la musique qu'une fois que j'ai su que j'étais sélectionné... Par contre, sur le tournage, je me suis senti beaucoup plus confiant. J'étais très bien entouré et le travail s'est fait dans le dialogue. On ne peut pas douter quand on est bien entouré, en revanche, dès qu'on est seul devant son ordinateur, c'est plus facile!

Comment avez-vous rencontré Barbara Scaff, Jérôme Pradon ? Aimeriez-vous retravailler avec elle / lui ?

Je les ai tous les deux rencontrés grâce à Fabienne Elkoubi une amie qui était dans "Les Misérables" avec eux, mais c'est surtout grâce à Patrick Laviosa, le compositeur, que j'ai eu l'occasion de les revoir et de les connaître mieux.

En fait, j'ai écrit ce scénario en pensant à Barbara. Je voulais ce type de physique et surtout, je voulais ce type de voix. Barbara a joué Eponine dans "Les Misérables" et cette jeune fille est un peu une Eponine, en moins téméraire... Elles sont toutes les deux seules dans la ville. J'ai d'ailleurs voulu faire un petit clin d'oeil aux Miz... Quand Barbara sort sur son balcon, elle se tient les bras pour se réchauffer : la position classique d'Eponine... mais qui l'aura remarqué?

Quant à Jérôme, il m'avait énormément impressionné lorsque je l'avais vu dans "Les Misérables" et je me suis dit à ce moment-là que j'aimerais travailler avec lui un jour. En 94, après mon séjour aux Etats-Unis, j'avais écrit un scénario de long métrage. Jeune et naïf, pensant qu'on faisait un long métrage en claquant des doigts, j'étais allé voir Jérôme pour lui proposer un rôle alors que je n'avais même pas de producteur et aucun court-métrage sérieux à mon actif ! Mais c'est là que je l'ai rencontré la première fois.

J'aimerais énormément travailler avec chacun d'eux à nouveau. Ce sont deux personnes que j'aime beaucoup artistiquement et humainement. J'aimerais beaucoup réaliser un clip pour Barbara par exemple. J'adore sa voix et je trouve qu'elle a un charme vraiment atypique. Quant à Jérôme, j'aimerais beaucoup le diriger dans un rôle plus consistant. J'ai beaucoup apprécié sa sensibilité de comédien, en dehors de ses qualités d'interprète. Et je crois qu'on se comprend assez bien dans le travail.

Comment s'est passé le travail avec vos comédiens, en studio d'enregistrement et sur le plateau ? Leur avez-vous laissé la possibilité de prendre des initiatives ?

Tout s'est très bien passé. Evidemment, je suis toujours prêt à écouter les suggestions des comédiens et à les utiliser quand je considère qu'elles correspondent bien à leur personnage ou à ma vision globale du film. La première étape a été de leur parler de leur personnage. Puis, nous avons enregistré les chansons avant le tournage, et là, il fallait que je leur explique l'ambiance générale de la scène, comment je la voyais à l'écran, afin qu'ils puissent déjà interpréter cette émotion vocalement. Quant au tournage, rien de plus classique. On répète, on ajuste, on tourne... Malheureusement, les conditions de court-métrage ne nous permettent pas toujours de tourner autant de prises qu'on le souhaiterait par manque de temps ou de pellicule.

Est-ce que vous pouvez nous dire un mot sur chacun des quatre comédiens, sur votre relation pendant le tournage ?

Toujours disponible et adorable, Barbara a vraiment séduit toute l'équipe. Drôle et dynamique, elle était toujours agréable dans le travail. Ca a été un grand plaisir de travailler avec elle, pour moi comme pour tout le monde, je crois.

Avec Jérôme, ce fut beaucoup plus court. Il n'a eu qu'une nuit de tournage et je l'ai peu vu avant car il était en plein tournage de "Vatel". Mais la communication a été excellente et j'ai été particulièrement séduit par ses réactions et propositions de comédien. J'ai ressenti une très grande intensité dans son travail. Il s'investit complètement dans ce qu'il fait et on sent qu'il a une réelle réflexion sur son travail de comédien.

Marie-Thérèse Orain, qui fait la voix de la tortue, a été une perle du début à la fin. C'était assez ingrat de venir donner la réplique sur le plateau alors qu'elle n'apparaît pas à l'écran. Mais elle l'a fait avec talent et gentillesse. Et j'espère un jour travailler avec elle dans un rôle où on la verra à l'écran. C'est une femme pleine de verve et de gouaille.

Quang Tri Truong, qui joue le jeune homme, n'est pas comédien. Mais physiquement, il correspondait bien à l'idée que je me faisais de ce personnage, avec une espèce de candeur et de douceur. Je trouve qu'il est très photogénique.

Quelle était l'ambiance sur le plateau ?

Excellente. J'avais vraiment très peur au départ que l'ambiance puisse être mauvaise. Les conditions du court-métrage sont souvent difficiles : on ne paye pas les gens, on fait des longues journées, l'équipe (à commencer par le réalisateur!) n'est pas toujours très chevronnée. On ne choisit pas toujours ses techniciens et on est parfois obligé de prendre ceux qui sont disponibles, sans autre critère de choix. J'avais donc peur qu'il n'y ait pas de cohésion et pourtant, tout s'est très bien passé. J'ai eu la chance d'avoir une équipe très compétente au niveau professionnel mais aussi formidable sur un plan humain. C'était un véritable bonheur d'arriver sur le plateau, même si j'étais fatigué ou stressé. J'espère vraiment retravailler avec cette équipe.

La sortie d'un court-métrage est toujours très aléatoire. Ce film sera-t-il distribué dans les salles ? A-t-il une sortie prévue en France ?

Le fait qu'il ait été réalisé dans le cadre d'un concours change un peu les données. Il bénéficie déjà d'une diffusion télé prévue courant 2000. Quant à une sortie en salles, aucun accord n'est encore définitif mais il y a de grandes chances pour qu'il puisse également être vu en salles, soit en première partie de longs métrages, soit dans un programme spécial avec les autres films du concours de la Mission 2000 en France. De toute façon, il n'y aura rien d'officiel avant sa première publique qui est supposée se passer au Festival Premiers Plans d'Angers en janvier 2000.

Une scène vous a-t-elle particulièrement marquée ? Quel est votre souvenir le plus marquant ?

Il y a une nuit où nous avons tourné la scène sur le balcon puis nous avons enchaîné avec la scène du frère. Barbara était déjà dans l'état "dépressif" de son personnage. On avait envie de la prendre dans ses bras. Lorsque Barbara et Jérôme ont joué le début de la scène des retrouvailles, j'avais vraiment les larmes aux yeux. Mais dès qu'on a commencé à répéter pour le plan suivant (où la caméra tourne autour du canapé), ce fut l'hilarité générale. Barbara et Jérôme essayaient de jouer une scène tendre et émouvante, tandis qu'une équipe réduite (image, son, machinerie) courait derrière la caméra et tout autour du canapé. Le reste de l'équipe était caché au fond de l'appartement pour ne pas apparaître dans le champ. C'était assez surréaliste de voir tous ces gens essayer de courir silencieusement autour du canapé... En plus, il devait être au moins trois heures du matin, on avait largement dépassé l'horaire de tournage et les gens chez qui l'on tournait essayaient de dormir, donc tout le monde chuchotait sur le plateau...

C'était un moment très particulier, un peu déconnecté de la réalité, comme dans l'histoire. Et c'est un de mes moments préférés du film. J'aime beaucoup quand Jérôme ouvre la main de Barbara, y dépose un baiser avant de l'étreindre. Cette scène me touche beaucoup à chaque fois.

Pendant la projection, dans quel état d'esprit étiez-vous dans la salle ?

Dans un état second! Tout est allé très vite : l'arrivée des gens, les saluer comme si j'étais à mon propre mariage, le petit discours de remerciements, la projection. Comme j'avais attrapé un rhume, j'avais passé quelques nuits très courtes et j'étais vraiment très fatigué! Je ne réalisais pas trop ce qui se passait. Jusqu'à la dernière minute, j'avais du mal à croire que j'allais faire la première projection de mon premier court-métrage dans une salle aussi prestigieuse et j'étais persuadé qu'il allait arriver quelque chose, que j'allais devoir décommander les gens à la dernière minute! Pendant la projection, j'essayais surtout d'écouter les réactions des gens. C'était la première projection publique, j'étais curieux d'entendre les réactions... Mais mon plus grand bonheur, c'est qu'autant de personnes se soient déplacées à une heure aussi indue pour voir mon film! J'ai été très touché.

Enfin: Que devient Stéphane Ly-Cuong, journaliste ?

Il va continuer à écrire pour différents supports parce qu'il aime beaucoup ça!

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11/10/99