Napoléon
 

 

 

Le Napoléon mystique de Jérôme Pradon

« Avant d'entrer sur scène tout à l'heure, Napoléon fera sa prière habituelle, empruntant à la méditation indienne et catholicisme. « C'est un mantra, comme des affirmations. Je demande à être en condition. C'est une demande d'aide, d'être encore une fois connecté avec l'esprit supérieur », confie Jérôme Pradon dans sa loge du Elgin Theatre, à quelques heures du lever de rideau.

Au-delà de sa propre technique de préparation à la scène, Pradon voit dans cette spiritualité une certaine affinité avec son personnage. « Ce qui est intéressant avec Napoléon, c'est sa dimension mystique » poursuit l'acteur parisien incarnant le rôle-titre du plus récent music-hall torontois. « Napoléon disait toujours lui-même qu'il était porté par une force qui avait besoin de lui et que dès que la force n'aurait plus besoin de lui, il tomberait. Il savait dès le départ qu'il tomberait. Il l'a écrit », ajoute-t-il.

Mais l'énergie et la présence dont l'artiste de 29 ans fait preuve sur scène ne viennent pas uniquement de cette affinité spirituelle. Simplement et modestement, il explique cela par le fait d'aimer ce qu'il fait. « C'est quelque chose de naturel. J'adore être sur scène. Je trouve cela passionnant de toujours essayer ensuite de voir ce que je peux trier, puis utiliser quand je suis sur scène. »

Mais on en revient à nouveau à la méditation et à cette prière d'avant spectacle. « Cela me calme toujours, cela me centre sur ce que j'ai à faire sur scène », indique Jérôme Pradon. « Je suis contemplatif et assez mystique. A partir d'un certain moment dans ma vie, j'ai utilisé la méditation pour mon travail, pour calmer le trac, le stress, améliorer ma vie. Ça a marché », résume-t-il.

Accoudé sur le dossier du canapé de sa loge devant un mur en parpaings blanc, ses costumes suspendus derrière lui, Jérôme Pradon se livre facilement. Un peu comme une conversation avec un inconnu, voisin de siège lors d'un long voyage en bus ou d'un long vol transatlantique.

De sa carrière artistique, il confie être reconnaissant de faire ce métier, « parce que j'ai galéré un bon moment avant de faire ce que je fais ». Acteur de formation à Paris au cours Florent avec deux américains John Strasberg et Sarah Eigerman, ce natif de Boulogne-Billancourt a réellement débuté sa carrière avec la production parisienne des Misérables . Il avait déjà à son compte un disque de ses compositions. « Ça marchotait », explique-t-il. « A l'époque, j'étais ouvreur dans un cinéma sur les Champs- é lysées ». Il chantait également quelques soirs dans les bars.

Un C.V. envoyé aux Misérables sans conviction ni grand intérêt artistique lui valut une audition. « Ils étaient outrés lorsque je leur ai dit que je ne connaissais pas les Misérables  ! » se rappelle Jérôme Pradon, en éclatant de rire. La première écoute de l'enregistrement du music-hall fut cependant une révélation. « Et puis j'ai écouté la cassette des Misérables et je suis tombé par terre », déclare-t-il. « J'étais en transe tout seul, j'ai trouvé ça émouvant, je pleurais. C'était un vrai choc. »

Sept mois et demi plus tard dans le rôle de Marius (qui est sa chanson préférée dans le spectacle), il allait poursuivre ce rôle dans la production londonienne, lorsqu'on lui proposa le personnage de Chris, l'un des rôles principaux de Miss Saïgon , à Londres également.

Que se passe-t-il dans la tête d'un jeune acteur devant ce pas de géant dans sa carrière ? Jérôme Pradon évoque cela simplement et posément encore une fois. « Je ne me suis rien dit. J'ai travaillé comme un hystérique » dit-il.

« C'était tellement haut vocalement, qu'il a fallu que je prenne des cours de chant. C'était pour une voix de ténor, et moi je suis baryton », raconte Jérôme Pradon. (Il remarque au passage l'entêtement des critiques torontois à le décrire à tort comme un ténor !).

Ce séjour à Londres lui permit également d'acquérir sa connaissance de l'anglais et de travailler son accent, qui est parfait dans Napoléon. « J'ai de l'oreille », dit-il modestement, pour avouer ensuite avoir travaillé également à cela « méthodiquement et phonétiquement. Pour Napoléon, j'ai dû travailler l'accent canadien, car pour Chris, c'était l'accent du Midwest américain », explique-t-il.

Ce spectacle de Napoléon a également été l'occasion pour l'acteur français de se replonger dans son histoire de France. Pour lui, Napoléon, c'était « l'homme de la cinquantaine, avec la grosse bidoche, son chapeau, qui grimace et qui fait ça », lance-t-il rigolard en plaçant sa main à plat sur son ventre, le coude vers l'extérieur (un geste qu'il ne fait d'ailleurs pas sur scène, car trop cliché). « C'est un choix du metteur en scène », précise-t-il.

« Je tire les oreilles des gens dans le spectacle, ce que faisait souvent Napoléon » renchérit Jérôme Pradon. « Les gens qu'il aimait bien, il leur prenait la main et la mettait sur sa poitrine. Je fais ça avec Joséphine et mon frère Lucien » poursuit-il, avec une légère montée d'enthousiasme, comme si l'énergie du personnage qu'il incarnera tout à l'heure remontait légèrement à la surface.

Ce personnage est évidemment très présent dans la loge, dans les costumes suspendus, une affiche du music-hall dans son cadre, blanche arborant le reflet orangé du visage de l'empereur, ainsi qu'un grand dépliant jaune, parsemé de photos disposées en escalier, apposé sur l'un des grands miroirs entourés d'ampoules électriques qui tapissent le mur de la loge. « C'est la vie politique de Napoléon », précise Jérôme Pradon.

« J'ai beaucoup lu » dit-il. « J'ai visité tous les endroits à Paris que je n'avais jamais vus », ajoute-t-il rieur, résumant peut-être la redécouverte du personnage que fut ce spectacle pour l'acteur français. « Cela m'a fait découvrir Napoléon. Dans sa jeunesse, il était complètement différent de l'image légendaire qu'il est devenu » raconte-t-il. « J'ai découvert quelqu'un de complexe, d'attachant ». « Il était fascinant. C'était quelqu'un de sensitif », termine Jérôme Pradon avec un grand sourire qui révèle ses fossettes, évoquant une nouvelle fois le mysticisme de l'empereur si familier à l'acteur, qui doit d'ailleurs se préparer car l'heure du rideau approche. Alors, bonne prière tout à l'heure et... merde puissance treize !

 

Par Charles-Antoine Rouyer pour L'Express .